Le blog

Skyblog, la grande "secte" molle? par Alain Giffard

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Avouons-le haut et fort... Il existe peu d'analyses critiques en ligne ou hors ligne des plateformes de blogs, de leur possibilité technique, de ce qui a concouru à leur mise en place et au développement commercial de celles-ci.

Par son caractère incontournable, parce qu'il s'agit d'un "réseau social" majeur en France depuis décembre 2002, les Skyblogs ont séduit bien des adolescents au-delà de l'Hexagone, en Belgique et dans d'autres pays Européens.

La page d'accueil des Skyblogs revendique plus de 23 millions de blogs créés et surtout actifs. Un tel phénomène Web est rare par son ampleur, la massification importante de l'utilisation de ces "blogs" par les adolescents.

Beaucoup de voix concordantes décrivent les Skyblogs comme un outil bénéfique pour les adolescents parce que Skyblog permet cette expression écrite et multimédia. Les voix discordantes se font plutôt rares.

Ce que sont les Skyblogs

Interviewé par l'Ecole des Parents pour un hors-série de sa revue sur le thème : "Adolescents : Confidences sur Internet" (n°577 - Mars 2009), Alain Giffard* livre une analyse très critique des skyblogs que la revue présente avec éloquence :
"(Alain Giffard) dénonce le premier hébergeur de blogs qui, sous couvert de libre expression, propose aux jeunes un espace fermé, livré à la publicité, et des modèles préformatés".

Cette interview titrée : "Skyblog : la grande secte molle" (publiée ici avec rectificatifs sur le blog d'Alain Giffard) n'est justement pas une dénonciation mais l'explicitation de ce que sont les Skyblogs, des limites techniques imposées par la plateforme, du dispositif commercial mis en place, de la loi du "personal branding" (brandissement de l'individu Skyblogueur comme marque personnelle)...

Une brillante analyse de la part d'un penseur français inspiré et reconnu de l'Internet qui fait écho à une analyse critique des médias, une éducation au multimédia que les EPN (Espaces Publics Numériques) doivent aussi mettre en place.

Nous reprenons ici quelques points saillants de cette interview :

Les limitations techniques de Skyblog vis-à-vis du Web :
"Ma première découverte a été de me rendre compte que la réalité n'était conforme ni à la publicité que Skyblog faisait sur lui-même, ni à l'esprit du web (...) Très concrètement, il n'existe pas de liens vers l'extérieur. On peut l'analyser comme l'envie de privatiser une partie de l'Internet ; cependant il s'agit d'une contradiction, puisque ce qui caractérise le développement du web est le lien hypertextuel (...) Sur Skyblog, (...) on met les jeunes à l'écart. On les sépare de l'ensemble du web en les empêchant de se mettre en relation avec cet espace."

Le mode stylistique encouragé par Skyblog :
"Au fil des mois, sous prétexte d'établir le palmarès des Skyblogs les plus regardés, on guide les jeunes. On les incite à se conformer à tel ou tel thème, en donnant des exemples de ce que les bons élèves de l'école Skyblog doivent accomplir. On insiste, par exemple, pour qu'ils adoptent un certain style, en encourageant l'utilisation de photos et de textes courts rédigés dans un langage courant."

Les faux skyblogs... publicitaires :
"Skyblog est bourré de faux blogs pilotés par les agents de changement, décrits par Naomi Klein que l'on voit ici en pleine action. Il ne s'agit pas de personnes mais de sociétés. Sous l'apparence d'un blog de jeune, un agent de changement raconte sa journée : il se lève, commence à enfiler son survet Adidas et ses baskets Nike...Une fois qu'on a lu 20 posts, on se rend compte qu'il passe sa journée à mettre ses tee-shirt de marques..."

Une course à la popularité déprimante pour les Skyblogueurs :
"En encourageant l'exposition de son intimité et de sa sexualité de manière extrêmement crue, en poussant sans cesse les jeunes à se questionner sur « pourquoi suis-je mignonne et plais-je aux garçons ? » ou en les ridiculisant lorsqu'ils ne décrivent pas leurs performances par le menu, on trouve au final un contenu très pauvre. La conséquence en est, pour des jeunes qui n'atteignent pas le haut des classements des palmarès, de se déprimer davantage."

Et la fausse promesse d'expression des Skyblogs :
"Skyblog ne permet aux jeunes ni de se raconter ni de s'approprier la technique. Selon moi, il est fondamental que les jeunes s'individuent seuls et en groupe en passant par ces médias... Or ici, on ne leur permet pas d'aiguiser leur regard critique par rapport à la technique : on est dans un circuit fermé, une logique de secte. J'ai eu le sentiment, en travaillant sur Skyblog, d'avoir affaire à une grande secte molle... Un espace sans interactivité de contenus puisque le média interactif qui distille des conseils (...) On créée ici une addiction aux modèles de consommation médiatique du site et de la radio."

*Alain Giffard a été directeur informatique de la Bibliothèque de France, il a conçu la bibliothèque numérique (Gallica). Il a participé à l'élaboration du Programme d'Action du Gouvernement pour la Société de l'Information et impulsé la politique des « espaces culture multimédia » sous Lionel Jospin (2000-2003). Il fut Président de la Mission interministérielle pour l'Accès Public à l'Internet qui a impulsé et coordonné la politique des Espaces Publics Numériques en France. Il est à l'origine du terme "Espace Public Numérique". Il travaille sur la lecture numérique et a écrit avec le philosophe Bernard Stiegler et Christian Fauré : "Face à la mécroissance - Des lectures industrielles" chez Flammarion (2009).

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