Le blog

Fabien Granjon, fracture numérique et approches plurielles

Parmi les chercheurs français travaillant sur la fracture numérique... ou plus exactement les fractures numériques, le nom de Fabien Granjon est invariablement à retenir. S'il est plus connu pour ses écrits sur la militance à l'heure des réseaux dès les années 90, Fabien Granjon (sociologue au sein du laboratoire Sociologie des usages et traitement statistique de l'information Susi de France Télécom Recherche & Développement) a ensuite exploré les fractures numériques avec une vision critique marquée par un rappel de l'historicité du concept tout en dégageant des pistes de réflexion qui ne sont absolument pas des potions magiques mais évoquant des possibles ; une approche raisonnée et plurielle.

A chaque travailleur social, animateur d'EPN, etc. ensuite,  et selon son expérience professionnelle, ses compétences, sa réalité professionnelle et son ressenti d'y trouver quelque intérêt. Donc, ne vous attendez pas à des recettes toutes faites (ce n'est d'ailleurs pas l'objectif de travaux en sociologie) mais une réflexion englobante sans être globalisatrice, bref pour dresser des perspectives ; des articles malheureusement toujours d'actualité :

Ce papier scientifique tient lieu de repère dans la notion de fracture numérique en présentant un panorama des approches du concept : "Les sociologies de la fracture numérique. Premiers jalons critiques pour une revue de la littérature" (Questions de communication, n° 7, Presses Universitaires de Metz, Metz, novembre 2004) :
"Chercher à s'intéresser aux modalités effectives d'usages est sans doute la meilleure manière de cerner au mieux la réalité de « l'internet pour tous », que l'on essaie de nous vendre comme étant un développement naturel du progrès technique et par-là même, selon un schéma causal déterministe, du progrès social."

Ce texte est à poursuivre par la lecture de l'article (en pdf) : "Une approche critique de la fracture numérique. Champ de l'Internet, pratiques télématiques et classes populaires" (Cahier de Recherche, Marsouin, Brest, janvier 2005) où Fabien Granjon se questionne sur la problématique de l'appropriation et des usages de l'Internet. Il déconstruit ainsi des concepts de fracture numérique comme celui-ci, par exemple :
"Disposer des infrastructures, des compétences minimum et construire des répertoires d'usages stables ne sauraient être présentés comme les signes explicites d'un dépassement de la fracture numérique. Car celle-ci ne recouvre pas seulement l'exclusion, le non usage ou la pratique indigente mais étend son spectre jusqu'à la "mal-inclusion", c'est-à-dire le développement d'usages parfois élaborés sur le plan des manipulations mais ne permettant pas pour autant de négocier une position sociale valorisante au sein des univers sociaux fréquentés (des champs mais aussi d'autres sphères d'activités comme la famille). Dans cette perspective, la fracture numérique est d'abord l'expression particulière, dans un champ donné (celui de la production des biens télématiques), de l'existence d'une asymétrie prononcée quant aux positions occupées par les agents dans ce champ. Consécutivement, elle est donc aussi un symptôme révélant une déficience plus ou moins lourde en un certain type de capital (technique), de plus en plus important au sein de nos sociétés technologiquement avancées et concourant au cantonnement des agents les moins bien dotés dans des positions de dominés, quels que soient les univers privilégiés de leurs investissements."

"Comment résorber la fracture numérique ?" (Cahiers français n°314, "La société française et ses fractures", mai-juin 2003. Ed. Documentation Française) :
"La rhétorique du progrès technologique résume les problèmes de formation à ceux d'une alphabétisation informatique, sans même se poser la question des conditions nécessaires de l'acquisition d'un savoir-faire technique, alors que l'appropriation des contenus télématiques soulève la question bien plus vaste du capital social, scolaire ou culturel et en appelle immédiatement une autre, encore plus fondamentale, portant sur les positions sociales et les rapports de production. Car la "fracture numérique" devrait également être considérée "dans son sens le plus large comme la différence qui existe entre usagers dans la [...] capacité de contribuer à la production de connaissances et de sens véhiculée sur internet...""

Enfin, ce document en pdf "De quelques éléments programmatiques pour une sociologie critique des usages sociaux des TIC" (Intervention au sein de la journée d'étude organisée par le LARES-Université de Rennes 2, sous la direction de Smaïl Hadj-Ali : les rapports société-technique du point de vue des sciences de l'homme et de la société, mai 2004) où Fabien Granjon s'interroge en conclusion sur le fossé numérique :
"À l'heure où la "fracture numérique" nous est présentée comme la nouvelle inégalité (caractéristique des sociétés rentrées dans l'ère de "l'information" ou de "la connaissance") qu'il est nécessaire d'endiguer au plus vite sous peine de voir se creuser la "fracture sociale" et où une large part des analyses posées relèvent de « discours officiels » ou bien d'une recherche administrative cadrée par un pragmatisme dont l'impératif opératoire tient lieu de nouveaux critères de scientificité, une des tâches de cette sociologie critique des usages sociaux des TIC serait par exemple de questionner la façon dont les "subjectivités" des usagers travaillent et structurent leurs usages d'Internet ainsi que la manière dont celui-ci déplace leurs modes de "construction de soi" liés à leurs conditions objectives d'existence (la quotidienneté dans sa relation au travail et hors travail). Si, comme sembleraient l'indiquer certains écrits, le réseau des réseaux contribue à l'autonomisation des pratiques sociales dans leur double composante culturelle (e.g. les goûts) et sociabilitaire (variabilité des interactions interindividuelles), les potentialités ouvertes par celui-ci sont-elles pleinement actualisées par tous les utilisateurs ?"

Tags : fracture-numérique - sensibilisation